Et si on parlait de racisme en France…

Un homme raciste est un homme qui se trompe de colère

L’abbé Pierre reprenant les célèbres paroles de Léopold Sedar Senghor

Hommage à George Floyd

Le 25 mai dernier, dans une scène d’une violence insoutenable, s’éteignait à Minneapolis George Floyd, citoyen afro-américain, victime de la police. Nous souhaitions rendre hommage à cet homme qui s’apprêtait à construire une nouvelle vie avec sa famille dans le Minnesota et qui est devenu malgré lui le symbole d’agissements racistes inacceptables.

De cet événement, a découlé une série de manifestations dans le monde entier. En France également, de nombreuses voix se sont élevées pour rendre hommage à George Floyd. Nous souhaitions prendre part à ce recueillement et exprimer notre indignation contre le racisme et ses dérives qui ne sont jamais très loin de nous.

Sans comparer la situation de la France à celle des Etats Unis, deux pays radicalement différents de par leur passé et l’histoire des migrations, il nous parait essentiel, fidèles aux principes du mouvement Emmaüs, de faire entendre « la voix des hommes sans voix ».

Le racisme c’est quoi ?

Le racisme est la valorisation, généralisée et définitive, de différences, réelles ou imaginaires, au profit de l’accusateur et au détriment de sa victime, afin de justifier une agression ou un privilège.

Albert Memmi – 1994

Le racisme, nous le savons tous et toutes, nous le subissons en France aussi. Ce qui est plus compliqué à savoir, c’est dans quelles proportions. La difficile utilisation des statistiques ethniques dans le pays, par souci d’égalité envers les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion, a aussi comme biais la méconnaissance des discriminations et celle des différentes formes de racisme.

De là à penser que le racisme s’estompe ou qu’il est peu présent, il n’y a qu’un pas. Nous disposons pourtant de quelques chiffres, ceux fournis par le Ministère de l’Intérieur pour avoir une idée de son évolution en France. Rien qu’en 2019, il a ainsi été fait état de 1 142 actes à caractère raciste et xénophobe contre 496 en 2018. 977 de ces faits relevaient de la catégorie « menace » avec une hausse forte des faits à caractère antisémite.

Si les chiffres nous montrent une évolution notable des actes à caractère raciste sur l’année 2019, qu’en est-il de ce début 2020 et de la période troublée que nous venons de traverser ?

Le virus du racisme en France

#jenesuispasunvirus

Car le racisme colle aussi à l’actualité. De latent ou atténué, il resurgit et s’amplifie avec la crise. Nous avons pu le constater avec le racisme antiasiatique qui a déferlé sur la toile et dans les rues avant même que la France ne soit touchée par la pandémie.

Ou comment une jeune lycéenne bretonne d’origine vietnamienne est giflée et insultée à la sortie de son établissement le 5 février dernier. Une violence ‘justifiée’ par l’actualité, l’agresseur accusant les chinois de « ramener le virus Corona » et de « manger n’importe quoi ». Cela s’est pourtant passé 10 jours avant la mort du premier malade diagnostiqué en France et 3 semaines avant l’apparition des premiers cas de coronavirus en Bretagne.

Et que dire de la Une du Courrier Picard titrée « Alerte Jaune » et publiée le 26 janvier dernier ? Ainsi que de l’éditorial intitulé « Le Péril Jaune » par le même journal ? Des clichés racistes qui renvoient aux expressions créées au XIXème siècle et à une ancienne peur d’expansion des peuples d’Asie.  Violence de l’esprit, agressions verbales et physiques qui vont crescendo, y compris durant le confinement. Au point qu’un hashtag a été créé pour relayer les témoignages choquants et se défendre : #jenesuispasunvirus.

Du racisme latent au racisme patent

Et cela ne concerne pas que les asiatiques, SOS Racisme constate l’augmentation de contenus racistes sur les réseaux, via une étude menée sur les publications du 17 mars au 5 mai dernier. Le « nombre de contenus racistes a augmenté de 40,5% (sur la période), celui des contenus antisémites de 20 % et celui des contenus LGBTphobes de 48%”.

Une réaction à attribuer à la psychose uniquement … ou au fait de ressortir des stéréotypes bien ancrés dans certaines mentalités ? Des stéréotypes devenus presque invisibles et de fait, peu dénoncés. Car le racisme est un phénomène qui évolue constamment, qui surgit où on le croyait oublié. Et qui ne disparaît pas, sévissant quotidiennement sous les formes bien connues de la discrimination.

Discrimination et racisme en France ? Quelques chiffres

La discrimination est un traitement inégalitaire de personnes en situation comparable, qui disposent de ressources matérielles (moyens de coercition ou d’interdiction) et symboliques (faire valoir son point de vue) inégales.

Pédagogie de l’anti-racisme, Monique Eckmann, Miryam Eser Davolio

Louer un appartement

Nous avons tous entendu parler de la difficulté à signer un bail de location par un proche ou une connaissance, notamment lorsque son nom ou son accent dévoile son origine africaine. C’est parfois un sujet de plaisanterie, l’occasion de récits. Un racisme ordinaire et une discrimination presque tolérée en somme car, on le pense du moins, ce type de discrimination n’affecterait pas l’avenir de la victime et ne concernerait que quelques exceptions de propriétaires foncièrement racistes.

Or, une étude de SOS Racisme publiée en 2019 nous en apprend un peu plus. Saviez-vous par exemple que les Français d’origine maghrébine ou sub-saharienne ont entre 35 et 40 % de chances en moins d’accéder à la simple visite d’un appartement ? Que près de 90 % des particuliers qui louent un bien sur internet pratiquent la discrimination et environ 70 % des agences immobilières ?

Par ailleurs, ce que l’on considère comme des préjugés ou de la prudence demeure… du racisme. On pense par exemple « que le règlement du loyer sera davantage garanti par quelqu’un qui nous ressemble » … ou ‘ que l’on récupérera la caution plus facilement si les parents du/de la locataire sont assurément en France’….

Autant de jugements qui reposent sur l’origine ethnique d’une personne ou sa couleur de peau, donc qui entraînent des pratiques de rejet interdites par la loi. Mais, comme c’est le cas pour la plupart des formes de discriminations, elles sont difficilement répréhensible car présentes sous forme de refus déguisés tel le fameux : ‘désolé, l’appartement est déjà loué’…

Trouver un travail

Racisme en France

Campagne de sensibilisation lancée le 18 avril 2016 #lescompetencesdabord

Une vaste étude menée par l’INSEE entre 1990 et 2014, montre également que la probabilité pour les descendant-e-s d’immigré-e-s d’Afrique de trouver un emploi est de 15 points (de pourcentage) inférieure à celle des descendants directs de Français blancs. Selon cette enquête, à caractéristiques égales, les Français blancs ont aussi un accès privilégié à l’emploi et bénéficient de salaires plus élevés à poste donné.

Encore une fois, les portes peinent à s’ouvrir dès le départ. Ainsi, une récente étude sur la discrimination à l’embauche, commandée par le Gouvernement, montre qu’à compétences égales, un candidat issu d’une minorité visible a de 20 à 25 % de chances en moins d’avoir une réponse de bonne réception de son CV ou même une information. Un chiffre stable depuis plusieurs années et identique à celui fourni par les Etats-Unis.

7 entreprises : Air France, Accor, Altran, Arkéma, Renault, Rexel et Sopra Steria, ont été épinglées en février dernier pour « présomption de discrimination à l’embauche ». Et l’étude ne concernait que les grandes entreprises, le président de l’Observatoire des Discriminations précise que la discrimination dans les petites structures est sans doute plus importante encore.

Des méthodes illégales mais encore une fois difficiles à prouver et par ailleurs récusées par les firmes dénoncées dans l’étude. Pour contrer efficacement les inégalités, il existe pourtant des solutions comme l’anonymat du CV, qui permettrait d’éviter également les discriminations concernant les critères de l’âge ou de l’apparence physique, tout aussi prégnantes. Une méthode de recrutement déjà à l’oeuvre dans de nombreux pays.

Circuler librement

Racisme en France

Affiches du Collectif Stop le Contrôle au faciès

Un contrôle au faciès c’est quoi ? C’est un contrôle d’identité qui se base sur l’apparence de la personne contrôlée donc sur des critères discriminatoires. Or l’article 443-16 du Code de la sécurité intérieure stipule que « lorsque la loi autorise à procéder à un contrôle d’identité, le policier ou le gendarme ne se fonde sur aucune caractéristique physique ou aucun signe distinctif pour déterminer les personnes à contrôler, sauf s’il dispose d’un signalement précis motivant le contrôle. »

Une enquête du défenseur des Droits, Jacques Toubon, révélait déjà en 2017 que les jeunes hommes perçus comme noirs ou arabes avaient 20 fois plus de chances d’être contrôlés que les autres. Elle montrait également qu’ils vivaient des relations plus dégradées avec les forces de l’ordre, subissaient le tutoiement ou la brutalisation. Et enfin qu’ils engageaient très rarement des démarches pour faire reconnaître ces situations car ces démarches étaient généralement jugées comme inutiles.

Comment en effet prouver ce type de discrimination ? Et comment y remédier ? Cela pourrait débuter par une meilleure traçabilité des contrôles, une action qui permettrait d’estimer également leur efficacité. Pour ce faire, la mise en place de récépissés a été proposée puis celle d’enregistrements audio-visuels systématiques, des mesures rejetées pour les coûts ou les contraintes qu’elles représentaient.

Échapper à la violence

Je veux que l’on reconnaisse que j’ai été victime d’une interpellation violente et injustifiée. Certains n’ont pas eu ma chance. En France, en 2019, quand on est un jeune de banlieue, on peut mourir pour un simple contrôle d’identité. Je ne veux pas que ça arrive à d’autres.

Boubacar, médiateur à Gennevilliers, a porté plainte contre des membres de la BAC de Clichy, suite à une interpellation le 13 juin dernier

Nous rencontrons quotidiennement deux types de discriminations. D’une part la discrimination inter-personnelle, par exemple entre voisins, passants, connaissances…, c’est à dire entre pairs. Et d’un autre côté, celle qui concerne l’abus de pouvoir pratiqué par des personnes dans l’exercice de leur fonction. Cela peut concerner des employeurs, des propriétaires immobiliers, des policiers, des fonctionnaires de l’administration…

On sous-estime souvent cette seconde forme sur le plan de l’injustice subie et de l’humiliation. On peut par exemple concevoir qu’il y ait des manifestations de racisme dans la police ou dans l’administration. Il y a du racisme partout, c’est un fait. Cependant, en tant qu’institutions, elle se doivent d’être irréprochables, et d’être sanctionnées si elles contreviennent aux valeurs de la démocratie et aux droits humains.

Racisme en France

Campagne Éduquer contre le Racisme et l’Antisémitisme, 2015

L’interpellation

Le 13 juin dernier, Boubacar se fait interpeller. Médiateur de la ville de Gennevilliers depuis 6 ans, il venait d’aider une maman de son quartier à retrouver sa fille. Il est violemment contrôlé, insulté et humilié sous les yeux des passants ébahis. Son interpellation, filmée, a provoqué l’indignation du maire et de la députée de la circonscription. Souffrant d’un stress post-traumatique, Boubacar a du arrêter de travailler pendant 3 mois à la suite de cette journée.

Pourtant, presque un an après, Boubacar n’a toujours pas de nouvelles de sa plainte et aucun des témoins n’a été auditionné… Une omerta dans la police qui a été dénoncée lors de récentes affaires telle celle qui concerne la mort d’Adama Traoré, jeune homme de 24 ans décédé à la Gendarmerie de Persan après son arrestation à Beaumont-sur-Oise.

Sans surprise, on constate de graves défaillances dans les enquêtes administratives et judiciaires à la suite de plaintes pour violences policières. Ces manquements sont d’ailleurs dénoncés dans le rapport d’enquête de l’ACAT couvrant des dossiers sur les dix dernières années.

La discrimination au cœur de son travail

Le tort que j’ai eu, c’est d’en avoir parlé à ma hiérarchie, j’en ai subi les conséquences.

Yassine, dans la police depuis une dizaine d’années, victime et témoin de propos racistes

Récemment enfin, des voix se sont élevées à l’intérieur même de la police. Des agents victimes et témoins de racisme par certains collègues. Une situation qui commence souvent par des plaisanteries à connotation raciste puis par la manifestation de discriminations au sens large.

Lorsque Yassine intègre la police, il y a quelques années, il tente de faire part à sa hiérarchie des propos racistes dont il est témoin et victime. Une action qu’il regrette car les coupables ne seront nullement réprimandés et qu’il subira les conséquences de ses revendications en étant harcelé par d’autres collègues. Un type de harcèlement dont il mettra des années à se relever.

Ne pas se tromper de colère

Identifier le racisme en France

Le racisme traverse l’ensemble des structures sociales, personne n’en est complètement épargné. Ses dérives portent atteinte aux victimes bien sûr mais également à ceux qui en sont les auteurs, dans leur humanité. Incompatible avec la démocratie, il faut déjà l’identifier pour le combattre. Et cela passe par l’éducation sans nul doute. Depuis des années déjà, le gouvernement mène des campagnes de sensibilisation à l’échelle nationale avec le soutien de la LICRA, Ligue Internationale contre le Racisme et l’Antisémitisme.

Cela passe aussi par l’échange et par la formation dans le travail. L’éducation dans les écoles, collèges et lycées ne peut suffire à identifier le racisme et à lutter contre. Nous sommes tous responsables en partie des actes de racisme dont nous sommes témoins sans les dénoncer. Cela passe par la rencontre des gens avec leur expérience, leur vécu, leur douleur et leurs contradictions. SOS Racisme met en place de nombreuses actions d’information et d’échanges, suivies de propositions concrètes.

Combattre le racisme en France

En effet, des propositions concrètes existent pour lutter contre le racisme. En 2018 déjà, SOS Racisme lançait sous le titre d’Adresse Citoyenne, un ensemble de propositions pour l’amélioration des rapports Police-Population. Lutter contre le racisme signifie aussi sanctionner les manifestations de racisme après les avoir identifiées. Et ne plus faire l’impasse sur les discriminations quelles qu’elles soient.

Et cela implique de combattre des actes et des idées, non des personnes. Un positionnement essentiel pour éviter de s’enfermer dans le cercle vicieux de la violence. Pour recourir à la vraie force de la démocratie qui se doit de proposer des solutions autres que la violence.

Campagne Éduquer contre le Racisme et l’Antisémitisme, 2015

Racisme en France et ailleurs : Se recueillir et agir

Aujourd’hui, ont lieu les funérailles de Georges Floyd. De nombreux rassemblements auront lieu également à Paris pour manifester contre le racisme en France et les violences injustifiées. Nous vous invitons, si vous le souhaitez, à observer 8 minutes et 46 secondes de silence. C’est le temps qu’il aura fallu avant que cet homme ne succombe, étouffé sous la pression du genou d’un policier.

Depuis plus de 70 ans, le mouvement Emmaüs défend des valeurs d’accueil fraternel, de respect et de solidarité. Autant que nous le pouvons, nous tentons de lutter contre toutes les formes d’exclusion. Notre colère va contre la misère, contre l’injustice, contre la violence. Nous défendons l’égalité et le ferons assez fort pour que …

(…) la voix des hommes sans voix empêche les puissants de dormir.

racisme en France

2 Comments

  • yvon dit :

    « Je suis de la couleur de ceux que l’on persécute’
    Belle citation de ce poète que j’ai toujours apprécié ça ne renforce que mon estime

  • Nerom nerom dit :

    Belle et forte citation « Je suis de la couleur de ceux que l’on persécute », excellent billet, et pour autant on passe autant sous silence l’action des religions, toutes confondues à ce sujet, racisme, antisémitisme, LGBTphobie etc etc sans même parler des « infidèles » de chacune… bref, de la matière à un niuveau billet

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