Cela fait plus d’un an que le collectif Stop Fast-Fashion et nous, Label Emmaüs, nous battons pour ce vote. Depuis l’adoption de la loi à l’Assemblée nationale en mars 2024, nous n’avons rien lâché.
Pendant ce temps, Shein et Temu ont continué d’inonder la France de vêtements ultra low-cost. Fin 2024, ils représentaient 22 % des colis traités par La Poste. Une aberration écologique et sociale.
Le 10 juin, le Sénat votera enfin ce texte. Une victoire pour toutes celles et ceux qui se sont mobilisés. Et pourtant, il reste beaucoup à faire.
Un texte affaibli, puis rééquilibré au Sénat
La première version soumise aux sénateurs après la commission d’avril avait de quoi inquiéter.
Elle vidait la loi de sa substance. Aucune définition précise de la fast fashion, en particulier pour les plateformes multimarques. Pas de référence claire au score environnemental, pourtant validé récemment par la Commission européenne. Et surtout, la suppression totale de l’interdiction de publicité, pourtant centrale dans le dispositif initial.
Face à ces reculs, les deux jours de débats au Sénat (le 2 et 3 juin) ont permis quelques avancées.
Le texte final, qui sera voté le 10 juin, a regagné en ambition. L’interdiction de la publicité est réintroduite, tout comme une pénalité financière appliquée aux vêtements aux vêtements ayant un impact environnemental. Elle atteindra cinq euros par article dès 2025, et dix euros à l’horizon 2030, dans la limite de 50 % du prix de vente.
Mais ces progrès restent fragiles. Les critères environnementaux sur lesquels se base cette pénalité sont encore flous. Le texte ne reprend que partiellement l’affichage environnemental, sans préciser comment les données seront utilisées ni quels acteurs seront réellement concernés. Le flou persiste aussi sur la manière d’identifier les marques ciblées.
L’angle mort de la loi : les géants européens
Reste une faiblesse majeure, et non des moindres : le texte se concentre presque exclusivement sur Shein et Temu, symboles d’une mode dite “ultra-éphémère”. Leur ascension rapide et leur impact désastreux justifient une régulation forte. Mais pendant ce temps, Zara, H&M, Kiabi ou Primark et bien d’autres, qui représentent encore près de 90 % des ventes de fast fashion en Europe, échappent largement à cette loi.
C’est là que réside le paradoxe. Comment prétendre encadrer la fast fashion si on ne veut pas toucher certains acteurs en raison d’un protectionnisme européen ?
Là est le cœur du problème : on ne peut pas faire croire qu’on régule la fast fashion si on ne s’attaque pas à ceux qui en tirent le plus de profits sur notre territoire.
Ce qui peut encore changer après le 10 juin
Le vote du 10 juin ne marquera pas la fin du processus. Après le Sénat, le texte passera en commission mixte paritaire, puis devra être décliné par décret. C’est à ce moment que tout peut encore basculer. C’est là que l’ambition politique peut reprendre le dessus sur les compromis.
La coalition Stop Fast-Fashion appelle le gouvernement et les parlementaires à renforcer ce texte en définissant clairement le périmètre d’action. Il faut un cadre cohérent, fondé sur des seuils précis.
Quels seuils permettront de désigner une marque comme “ultra-éphémère” ? Et de quelles façons seront également pris en compte les marques européennes de fast-fashion ?
Pour cela, la coalition propose des critères clairs et justes pour compléter la proposition de loi :
- Porté le seuil à 10 000 nouvelles références par an pour les marques de fast-fashion.
- Ajouter un coût de réparation qui doit être inférieur à 33% du prix de vente neuf.
Ces propositions s’appuient sur une réalité simple : quand un vêtement est trop peu cher, il n’est pas réparé. Il est jeté, puis racheté. Et le cycle infernal recommence.
Réguler la fast fashion, ce n’est pas seulement viser ceux qui font scandale aujourd’hui. C’est s’attaquer au modèle tout entier. Et cela implique, enfin, de regarder du côté des géants européens.