Bienvenue à Emmaüs Baudonne, une communauté qui se consacre maintenant à la réinsertion des femmes détenues en fin de peine.

Je ne peux pas t’aider, je n’ai rien à te donner. Mais toi, tu peux m’aider à aider les autres.

L’abbé Pierre, 1949

Emmaüs Baudonne revient aux origines du mouvement

La rencontre avec Georges Legay

En, l’abbé Pierre achète une maison à Neuilly-Plaisance. La jugeant bien trop grande pour lui, il fonde en son foyer, une auberge internationale avec l’aide de Lucie Coutaz, ancienne résistante et secrétaire de l’abbé jusqu’à sa mort. Le lieu d’accueil et de refuge Emmaüs était né. Nous avions évoqué cette belle histoire et la rencontre qui s’ensuivit.

Celle que l’abbé fit avec Georges Legay, ancien bagnard, et qui conféra au mouvement l’énergie et la force qui ne l’ont jamais quitté depuis. Alors que l’abbé Pierre est appelé au chevet de Georges, désespéré et suicidaire, il lui propose de ‘l’aider à aider’, lui offrant une seconde chance par le pouvoir de l’action et de la solidarité.

Emmaüs

En 2019, soit 70 ans après cette belle rencontre, un projet unique en France prend forme dans la propriété jouxtant la communauté Emmaüs de Baudonne. Mené par Gabriel Mouesca, une ferme dédiée à la réinsertion des femmes parvenues en fin de peine. La possibilité de travailler de 6 mois à 2 ans en milieu ouvert avec un accompagnement administratif, social et surtout humain.

 

Emmaüs Baudonne accompagne les femmes détenues

Les femmes, les grandes oubliées du système carcéral

Dans cette propriété d’environ 1000 mètres carré, il y a de la place pour les gens et pour les idées. Gabriel Mouesca en a donc fait une alternative à la prison pour les femmes parvenues en fin de peine. Une initiative basée sur le volontariat et ouverte aux détenues sur toute la France. En effet, avec un effectif d’environ 2500 personnes, les femmes ne représentent que 3,8 % de la population carcérale totale du pays.

Il semblait donc pertinent de se baser sur un recrutement national, différent de celui effectué dans les initiatives de réinsertion proposées pour les hommes. Selon Gabriel Mouesca, ‘les femmes sont considérées comme la cinquième roue de la charrette dans le système carcéral français. Minoritaires, elles sont les grandes oubliées et ont vraiment besoin d’être aidées.’

réinsertion des femmes détenues

La double peine pour les femmes

Il faut savoir en effet que seules deux prisons sont dédiées aux femmes dans tout le pays, le centre pénitentiaire de Rennes et la Maison d’Arrêt de Versailles. Hormis ces deux établissements, les locaux pour femmes sont en fait des quartiers à part qui leur sont affectés, dans des prisons pour hommes. Isolées des autres détenus par les murs, elles ont aussi moins d’accès aux locaux collectifs, donc au travail, aux activités culturelles et sportives, aux soins.

Dans le site dédié à l’Observatoire International des Prisons, la sociologue Corinne Rostaing précise également que les femmes pâtissent d’un contrôle moral plus fort que les hommes. ‘Les petits écarts de comportement sont davantage sanctionnés’, les détenues doivent veiller à leur vocabulaire, à leur présentation. Est stigmatisé le style garçonne comme celui jugé trop aguicheur…

 

La réinsertion à la ferme par Emmaüs Baudonne

Une alternative au système carcéral

L’aménagement de la ferme de Baudonne se présente comme une alternative à un système défaillant mais aussi comme une nouvelle façon de penser ce système. Il s’agit d’abord de ‘remettre sur pied’ des femmes en difficulté puis de les inclure dans un vaste projet humain avec une portée sociale, écologique et éducative. Et tout cela commence, bien sûr, par la ferme et le retour à la terre pour celles qui le souhaitent. Gabriel Mouesca nous raconte les femmes à la ferme de Baudonne.

‘Après une demande de permission de deux ou trois jours, celles qui ont posé leur candidature peuvent découvrir la vie dans la demeure et ce qu’on fait ici au niveau du travail et de la réinsertion. Et si l’expérience s’avère probante et aidante, elles confirment leur souhait d’intégrer la ferme en demandant l’accord du Juge d’application des peines.’

Emmaüs Baudonne

Des actions sur le plan écologique, social, éducatif

Alexandre, maraîcher de profession et encadrant technique, accompagnera au quotidien les femmes dans le travail de la terre. Maud, accompagnatrice socio-professionnelle, les guidera, pour différents aspects de la réinsertion comme les questions d’administration ou de soins. Avec Gabriel Mouesca, l’objectif est de bénéficier d’une seconde chance dans un milieu bienveillant et avec les moyens mis en oeuvre pour réussir un retour dans le corps social.

Actuellement, le lieu de vie, réhabilité, peut accueillir sept femmes en réinsertion. L’année prochaine, ce sera dix. Est aussi prévue l’ouverture d’un restaurant biologique d’ici la fin de l’année. Ce lien essentiel vers l’extérieur permettrait d’employer deux à trois femmes en réinsertion, guidées par une cuisinière professionnelle. Enfin l’expérience a pour visée de se prolonger par la création d’une école alternative inspirée par Montessori et pouvant accueillir quarante enfants de trois à onze ans.

Un positionnement fort sur la prison et sur les femmes

Emmaüs Baudonne : la ferme pensée pour les femmes

Gabriel Mouesca explique en effet avoir renforcé son engagement envers les femmes depuis quelques années. Plus exactement après avoir découvert les difficultés quotidiennes traversées par ses proches. Et au fil de l’expérience de l’éducation de ses filles. Pour lui qui avait évolué dans un univers très masculin auparavant, le fait de devenir père lui a aussi permis de s’ouvrir à la situation des femmes.

Cet effort pour améliorer la condition de vie des détenues est pour lui un devoir envers ces femmes et envers la société. Car si les femmes en milieu carcéral sont majoritairement responsables de leurs actes, il s’avère que les coupables des situations qui poussent au délit ou au crime sont souvent des hommes. Par exemple, nombreuses sont les détenues écrouées pour avoir servi de ‘mules’, femmes en très grande précarité, contraintes à transporter de la drogue.

Emmaüs Baudonne

Gabriel Mouesca

Une façon de remettre en question le système carcéral

Bien souvent aussi, lorsqu’on se penche sur le passé des femmes incarcérées, on découvre une misère insupportable. On comprend alors que cela ait pu provoquer des actes contraires à la notion du vivre ensemble. La question des femmes détenues conduit à la problématique plus profonde de la place de la femme dans notre société moderne. Elle pousse aussi à s’interroger sur le rôle de l’éducation, de la famille. Gabriel Mouesca aime à penser la ferme de Baudonne comme un lieu d’accueil mais aussi de recherche et de réflexion. Un lieu politique.

Et en ce qui concerne le monde carcéral, Gabriel Mouesca a de quoi argumenter. Ancien prisonnier politique, il a passé dix-sept ans en détention en France. A sa sortie, il travaille en tant que chargé de mission sur les prisons pour la Croix Rouge. Puis il intègre l’Observatoire International des Prisons dans lequel il travaille pendant 5 ans. Depuis toujours, il se bat pour défendre les droits de l’homme au cœur du système carcéral. Selon lui, construire une société plus juste, c’est éviter les situations nécessitant la prison.

 

Emmaüs Baudonne demain

Contrer la prison par l’éducation

La création de l’école alternative constitue d’ailleurs une réponse possible en ce qui concerne l’éducation. Une façon d’entrevoir l’avenir des enfants avec bienveillance et de proposer un autre modèle, au cœur de Baudonne. Un art de vivre avec une certaine liberté. Un effacement des contraintes et de la violence qui peuvent aller de pair avec la société de consommation.

Un retour à la terre et aux valeurs qui est presque une tendance naturelle dans ce lieu emblématique. L’ancienne propriété de Baudonne était en effet l’école de la Société des Missions Africaines pendant presque un siècle. Déjà un symbole de convivialité et de fraternité avant qu’on ne la cède dans son intégralité à Emmaüs.

Et ce n’est que le début…

La ferme de Baudonne va très prochainement ouvrir les portes de son potager et de son foyer aux nouvelles résidentes. Pour l’heure, elle s’est engagée provisoirement à accueillir des homme sortant de prison. Un secours ponctuel nécessaire dans cette période de crise sanitaire qui étouffe encore un peu plus les prisons. Dans ce contexte politique et économique troublé, la prise de conscience des conditions de vie difficiles en milieu fermé est forte. Elle nous fait espérer un rebond dans la politique pénale et carcérale.

Que les souffrances de ces 60 000 personnes ne soient plus passées sous silence. Qu’elles ne soient plus acceptées comme attenantes à la sanction. Car n’oublions pas que depuis 1981 et l’abolition de la peine de mort, toute personne qui passe par la ‘case prison’, a vocation à en sortir. Ce qui implique aussi que nous devons leur donner la possibilité de vivre normalement dans la société. Et bien sûr ‘d’aider à aider’ en apportant leur énergie comme avait pu le faire en son temps Georges Legay.

Une initiative sur laquelle nous reviendrons vite et qui se poursuivra avec Label Emmaüs, nous l’espérons. ‘Emmaüs un jour, Emmaüs toujours’, pensons-nous de cœur avec Gabriel Mouesca…en attendant la suite.

2 Comments

  • Mathilde dit :

    Super article sur une initiative que je ne connaissais pas !! merci 🙂

    • Kadija dit :

      Merci à vous de nous suivre. Nous espérons bientôt vous donner des nouvelles de cette très belle initiative et vous décrire les autres projets qui nous tiennent à cœur. A très bientôt 🙂

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