Plaidoyer pour la fraternité et l’entraide.

Toi qui souffres, qui que tu sois, entre, dors, mange, reprends espoir, ici on t’aime.

Abbé Pierre (1954)

Nous pouvons le dire, nous vivons une crise grave, inédite. Pour la première fois depuis sa création, Emmaüs a besoin de vous. De votre présence, de votre action, de votre soutien. Pour sauver le mouvement et les 119 communautés qui ont vu le jour avec lui, voici la campagne de dons mise en place en urgence :

CAMPAGNE DE DONS EMMAÜS

 

Peut-être est-ce pour nous l’occasion de revenir sur l’origine du mouvement, sur les convictions et les espoirs qui ont fondé Emmaüs.

L’abbé Pierre et les compagnons d’Emmaüs

Durant l’été 1949, Henri Grouès, devenu l’abbé Pierre au cours de la Seconde Guerre mondiale, ouvre à Neuilly Plaisance, au 38 avenue Paul Doumer, une première structure laïque de lutte contre l’exclusion, dans ce qui était à l’origine une auberge de jeunesse. Dans ce local, par ce geste, naît Emmaüs et l’hiver suivant lui donne son premier compagnon, Georges Legay.

Ancien bagnard, Georges Legay, avait perdu tout espoir et souhaitait mourir. L’abbé Pierre, pour l’aider, lui suggère quelque chose :

Je ne peux pas t’aider, je n’ai rien à te donner. Mais toi qui n’as rien à perdre, tu peux m’aider à aider les autres.

Georges accepte alors de suivre l’abbé Pierre et devient ainsi le premier compagnon d’Emmaüs. Emmaüs, un village situé proche de Jérusalem et cité dans l’Évangile selon Luc (chapitre 24, versets 13 à 35). Dans ce passage du Nouveau Testament, le Christ qui vient de ressusciter le matin de Pâques, apparaît sur la route d’Emmaüs à deux de ses disciples qui quittaient Jérusalem.

Cléopas et son ami, dont nous ne saurons pas le nom, poursuivent leur chemin avec Jésus sans le reconnaître. Une fois arrivés près du village, celui-ci s’apprête à reprendre sa route et à quitter ses compagnons. Mais, voyant la nuit tomber, ces derniers insistent pour qu’il entre dîner et se mette à l’abri avec eux.

L’histoire des compagnons d’Emmaüs… Or, depuis ses 70 années d’existence, le mouvement ne fut jamais que cela : un acte renouvelé d’hospitalité et de fraternité sans jugement face au compagnon qui se présentait.

L’appel à la fraternité

Bien que fondé par un prêtre catholique, député de surcroît, le mouvement Emmaüs se veut ainsi neutre sur les plans religieux et politique. Il porte assistance aux vulnérables, sans considération sur l’histoire de la personne, son origine, ses convictions. L’accueil inconditionnel tel qu’annoncé dans le Manifeste Universel du mouvement : « Servir premier le plus souffrant ».

C’est ce que permit le mouvement dès les premières années, donner une seconde chance aux hommes en leur permettant de trouver un logement et un travail grâce à la chine.

Et il fallut parfois faire plus. Au tout début de l’année 1954, une vague de froid s’abat sur le nord et le nord-est de la France. Les températures descendent très bas, jusqu’à -30 °c à Wissembourg, -16 °c à Strasbourg. Entre le 3 et le 4 janvier 1954, à quelques kilomètres de l’Assemblée où Léo Hamon présente un amendement proposé par l’abbé Pierre, un bébé de trois mois meurt de froid, dans le campement de fortune qui abrite sa famille.

L’amendement prévoyait de prélever 1 milliard de francs pour édifier des cités d’urgence. Le projet est rejeté par l’assemblée.

‘L’espérance, c’est croire que la vie a un sens’

L’abbé Pierre écrit alors au ministre une lettre publiée le 5 janvier au matin par Le Figaro.

« Monsieur le Ministre, le petit bébé de la cité des Coquelicots, à Neuilly-Plaisance, mort de froid dans la nuit du 3 au 4 janvier, pendant le discours où vous refusiez les “cités d’urgence”, c’est à 14 heures, jeudi 7 janvier, qu’on va l’enterrer. Pensez à lui. Ce serait bien si vous veniez parmi nous à cette heure-là. On n’est pas des gens méchants… »

C’était un homme convainquant l’abbé Pierre. Contre toutes attentes, le ministre accepte de se rendre à l’enterrement et promet l’édification rapide de cités d’urgence.

Mais l’hiver 54 redouble de violence. Les commissariats accueillent des sans-abri, les hospices aussi, une tente militaire est dressée sur La Montagne-Sainte-Geneviève. Un logement de fortune qui accueille 60 sans-abri. Malgré ce premier élan de fraternité et de solidarité, nombreux sont ceux qui s’éteignent, abandonnés par la société.

Dans la nuit du 30 janvier, une femme est retrouvée morte boulevard de Sébastopol. L’abbé Pierre lance alors un appel à la solidarité sur Radio-Luxembourg.

Mes amis, au secours…

« Mes amis, au secours… Une femme vient de mourir gelée, cette nuit à trois heures, sur le trottoir du boulevard Sébastopol, serrant sur elle le papier par lequel, avant hier, on l’avait expulsée…

Vous pouvez le lire en entier ici ou l’écouter ici repris par l’abbé Pierre lui-même, cet appel avec un message aussi fondateur que le furent les structures créées par le mouvement. Grâce à lui, 500 millions de francs de dons permirent de construire des cités d’urgence et de sauver des gens pour cette année-là et les suivantes.

Aujourd’hui, nous arrivons à l’approche des fêtes de Pâques. Beaucoup vivent ou aimeraient vivre un moment de célébrations et de partage. Dans de nombreuses cultures, cette période célèbre le retour du printemps. Les fêtes ont d’ailleurs une origine ancienne. D’une autre façon et avec un autre nom, elles se célébraient déjà lorsque, nomades, nous accueillions le renouveau de la nature et partagions ce moment avec les autres. Avant même la naissance du judaïsme et du christianisme.

Dans ce moment de spiritualité et de partage, l’invitation que nous souhaiterions faire aujourd’hui est une invitation à la fraternité, à conserver ou à retrouver le lien avant qu’il ne soit perdu pour certains, de façon irrémédiable. Pour les croyants, pour les non croyants, pour tous les citoyens, voici une invitation à donner ce que nous pouvons donner et à secourir ceux qui en ont besoin.

Notre acte de partage

Car les circonstances actuelles sont dramatiques. Des centaines d’exilés du Nord-Est parisien et de Seine-Saint-Denis trouvent désormais portes closes dans les structures d’accueil. A Calais, le coronavirus se répand dans le camp de fortune où vivent les exilés, sans possibilité de se mettre à l’abri. Emmaüs Solidarité et la Fondation Abbé Pierre ont œuvré à la mesure de l’urgence qui frappe les plus démunis.

Dans nos rues, ce sont 100 000 personnes sans abri. Exclus parfois verbalisés et dont les passants s’éloignent plus qu’ils ne le faisaient auparavant. Suite à cela, quelques milliers de places d’hôtels ont été trouvées. Si peu au regard de la situation actuelle. Les communautés d’Emmaüs continuent d’accueillir les personnes vulnérables. De nombreux projets permettent également de poursuivre le soutien de l’aide alimentaire comme le RADIS, d’Emmaüs Défi.

L’exclusion se renforce tout comme les inégalités. Avec la crise, ce sont des centaines de personnes sans toit ni soutien. Et des gens enfermées entre 4 murs, ou pas beaucoup plus, dans des conditions de vie à peine décentes. Emmaüs France invite à la signature d’une pétition pour accorder une prime de solidarité aux familles et aux personnes les plus modestes.

Ce sont aussi des centaines d’enfants sans accès à la scolarité, ni aux conditions nécessaires pour poursuivre le travail scolaire à la maison. Emmaüs Connect oeuvre pour réduire la fracture numérique et l’exclusion qui en découle en cette période singulière.

A Label Emmaüs, nous poursuivons la vente des objets issus de la récupération, du réemploi des communautés Emmaüs et des structures de l’ESS.

Emmaüs et de nombreuses associations font aujourd’hui ce qui est en leur pouvoir et plus tant qu’ils le peuvent. Vous aussi, vous pouvez contribuer.

Appel à la fraternité

Nous lançons donc un appel à la fraternité. En ces circonstances dramatiques et pour ne pas laisser faire, ne perdons pas de temps. Faisons avec ! Avec ce que l’on a et avec les autres. Nous avons déjà tant à faire.
Vous aussi, vous pouvez faire beaucoup aujourd’hui, avec cette campagne.
Le mouvement Emmaüs, ce n’est que cela depuis le début.
Nous espérons donc que cette période de recueillement, de spiritualité, de partage nous donnera l’opportunité de faire un bout de chemin ensemble et de consolider le vaste « centre fraternel de dépannage » commencé il y a 70 ans déjà.
Une seule opinion doit exister entre hommes : la volonté de rendre impossible que cela dure. Je vous en prie, aimons-nous assez tout de suite pour faire cela. Que tant de douleur nous ait rendu cette chose merveilleuse : l’âme commune de la France.
L’abbé Pierre (1954)

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