A Label Emmaüs, vous savez que nous aimons l’innovation, notamment dans le domaine de la formation. D’ailleurs très bientôt, nous aurons plein de choses à vous raconter sur Label Ecole. En attendant, voici une initiative importante pour, par et avec les publics issus des Migrations. Et même en ce moment, on peut vous dire que la motivation est là.

Médiations, Migrations : pour maintenir l’hospitalité

Une approche nouvelle de la formation et des Migrations

L’année dernière, avec le soutien d’Emmaüs Solidarité et notamment d’Aurélie El Hassak-Marzorati, deux universités, l’INALCO et Paris Descartes, se sont réunies et ont créé un diplôme novateur : le DIU H2M. Le bien nommé Diplôme Inter-universitaire Hospitalité, Médiations et Migrations.

Celui-ci se fonde sur une réflexion menée avec Emmaüs et un constat sur la richesse humaine portée par les migrations. En effet, de nombreuses personnes, notamment lorsqu’elles fuient les conflits dans leur pays d’origine, ont, en plus de leurs cursus scolaire, un bagage linguistique important et une expérience de médiation, construite sur leur propre parcours.

Migrations

Visite proposée par le programme Migrantour : les passeurs de culture à Emmaüs, Paris 10.

Les obstacles d’un parcours scolaire et professionnel classique

Or, peu d’opportunités professionnelles se présentent. Être exilé signifie parfois être cantonné à un poste de sécurité, d’agent ou à un emploi éloigné de son inclination et de ses compétences. Sans oublier les difficultés que l’on rencontre en arrivant en France. Dans le désordre : l’exigence de la parfaite maîtrise de la langue avant d’entamer ou de reprendre un cursus universitaire, la connaissance des codes du système scolaire, l’acquisition (souvent très très longue) de ses papiers.

Enfin faut-il composer avec son passé douloureux tout en affrontant vaillamment ce labyrinthe d’apprentissages.

Pour lutter contre ces obstacles multiples mais aussi pour faire progresser la recherche et la discipline de la Médiation, des professeurs ont mis en place une formation inclusive et collaborative. Un programme lancé dans le cadre du LIMINAL de l’Agence Nationale de la Recherche, une recherche-action basée sur les interactions entre migrants et acteurs institutionnels, associations.

Migrations

ANR LIMINAL : les étudiants présentent les mots de l’exil en arabe soudanais

Migrations : la recherche-action se poursuit

C’est ainsi qu’une vingtaine d’élèves provenant de pays et de continents différents, poursuivent en ce moment même le deuxième semestre à l’issue duquel ils valideront leur diplôme. Malgré la situation actuelle, les élèves et les professeurs s’attachent à suivre et animer les cours.

Bien plus que cela, ils participent à la mise en place d’initiatives solidaires à destination des personnes vulnérables. Notamment la rédaction des guides Watizat à destination des réfugiés qui viennent d’arriver. Mais aussi la traduction en plusieurs langues d’informations sur le Covid-19, disponibles sur les sites de la Cimade ou du Gisti depuis le début du mois de mars.

Mais n’en disons pas plus pour le moment. Nous allons vous présenter quatre élèves. Nous aurions aimé vous les présenter tous, tant leur parcours respectif et leurs projets sont passionnants mais ce n’est que partie remise. L’histoire du DIU H2M n’en est qu’à ses débuts.

Zeinab

Zeinab a 20 ans, elle parle 3 langues. Elle est arrivée en France dans le cadre du rapprochement familial et a fui le Soudan avec sa mère, réfugiée politique. Elle a effectué son service civique à Emmaüs Ivry puis a intégré le pôle santé du Samu Social en tant qu’hôtesse d’accueil. Petit à petit, en plus d’organiser les rendez-vous, elle accompagne les patients dans les hôpitaux.
« Je m’entretenais aussi avec les médecins, j’étais sollicitée en tant qu’interprète lorsqu’on manquait de bénévoles. J’étais le lien entre les professionnels de la santé et les personnes qui venaient d’arriver en France et qui ne pouvaient pas bien s’exprimer. » Actuellement, Zeinab participe à la traduction en arabe des guides et des documents d’information à destination des réfugiés.
Avec le DIU, elle valide son premier diplôme avant de poursuivre ses études. Elle souhaite gagner en compétences et se passionne pour le monde de l’humanitaire et la question des Migrations. Son souhait à plus long terme : « J’espère contribuer à l’édification d’un meilleur système social au Soudan, après tout ce que j’aurai appris ici ». A suivre…

Abdul-Azam

Avec Pauline Fulchueri à Emmaüs Jourdan

Abdul- Azam a 27 ans. Il maîtrise 4 langues. Il est actuellement étudiant à l’Inalco en Relations Internationales et Licence de Persan. Originaire d’Afghanistan, il a fui son pays il y a 4 ans et est passé par la Norvège avant d’arriver en France. Un parcours chaotique qu’il ne souhaite à personne.
« Lorsqu’on arrive ici, tout est inconnu. Dans mon pays, il n’y a pas le même système administratif, pas de rendez-vous précis pour faire ses papiers, ni la même importance accordée à la carte d’identité par exemple. Et en Norvège aussi, c’est différent, ils donnent un rendez-vous puis régularisent tout par internet. Ils renouvellent aussi facilement l’acte de séjour. Ici, je ne comprenais rien quand je suis arrivé, c’était choquant. »
Le souhait d’Abdulazam est de se professionnaliser pour intervenir lui-même en tant que médiateur auprès des réfugiés. « Notre formation est intéressante et basée sur la solidarité. En Afghanistan, il y a de nombreux conflits entre ethnies et nous partageons peu de choses. Dans cette classe, j’échange avec tout le monde et j’apprends sur des cultures de pays si différents. Nous sommes solidaires et cela me conforte dans ma vocation. »

Safae

Safae a 35 ans, elle parle 3 langues. Elle travaille dans une association d’accueil pour la petite enfance et est investie dans le domaine associatif. Titulaire d’une licence de médiation sociale au Maroc, elle aimerait continuer de travailler avec les mineurs isolés par la suite.

« Le DIU me permet de mieux connaître la France, les droits, la société, les habitudes. On découvre les structures et leur façon de fonctionner avec les réfugiés. Par exemple, ce qui advient si on est malade en France et qu’on ne parle pas la langue. Que peut-on faire ? Que doit on faire? Ce sont des choses qui me touchent beaucoup, notamment concernant les enfants. »

Safae participe aussi en tant que bénévole à la rédaction des guides Watizat. « En cette période, je suis coincée à la maison et, pour passer le temps et en même temps, être utile, j’ai besoin d’aider. On travaille à la traduction de documents pour les hôpitaux. Je suis contente car nous montrons que les migrants font plein de choses pour aider la société. »

Ali

Ali a 36 ans. Il parle 4 langues. Il a quitté le Soudan lors des conflits et a fait une longue route avant d’arriver ici. Titulaire d’une licence de droit à l’Université du Caire en Egypte, il est arrivé en France en 2014. Depuis il n’a cessé de faire du bénévolat en tant qu’interprète pour les arabophones auprès de l’association COALLIA.

En 2016, il exerce un poste d’Auxiliaire Socio-Éducatif au Centre de Premier Accueil d’Emmaüs Solidarité. Désormais, il travaille à l’accueil de jour Henry IV, au pré-accueil des familles, couples et femmes isolées. Il identifie la situation, accueille les nouveaux arrivants tout en facilitant leur orientation et leur intégration . L’année dernière, il a fait partie des deux étudiants dont la formation a été financée par Emmaüs Solidarité.

« Pour moi, la formation valide les connaissances que nous avons. Elle nous permet aussi de renforcer nos connaissances dans le domaine social, comme l’anthropologie des Migrations, le droit des étrangers. Et nous pouvons découvrir la diversité culturelle à travers le programme Migrantour, un projet qui permet aux réfugiés de devenir des médiateurs culturels ou des animateurs sociaux. C’est vraiment enrichissant. »

Un engagement fort dans la recherche et la solidarité

Ce regard sur cette initiative serait bien incomplet si on n’évoquait pas les professeurs. Tous engagés, ils précisent avoir une relation originale avec les membres du DIU qui les place davantage comme des pairs. Marie-Caroline SAGLIO-YATZIMIRSKY est Professeur des Universités à l’INALCO. Pour elle, « c’est quelque chose d’exceptionnel ce qui se passe avec le DIU. On arrive à former à ce qu’est la médiation et dans le même temps, les étudiants sont des ressources exceptionnelles. Je suis étonnée de voir à quel point cela a pu prendre. »
Madame Saglio est également investie dans le soutien psychologique des réfugiés. Elle mène des consultations pour des victimes de guerre et de psychotrauma, sans domicile fixe ou en foyer. « Durant le confinement, les consultations se font à distance et plus fréquemment. Il y en a même que j’ai tous les jours au téléphone. Le confinement pour eux est très dur, ils n’ont souvent plus de contact avec la famille. Et s’ils sont malades, c’est aussi très difficile. »

Et pour l’avenir du DIU ?

Le programme est une réussite. Il vient d’ailleurs d’être financé pour deux ans supplémentaires et va être dupliqué dans d’autres villes. Une façon de faire progresser la recherche sur la Médiation, les Migrations, de maintenir le lien et surtout l’hospitalité.

 

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